2. Naissance. Paris XIe. Haute-Loire.

Je suis né en 1916, pendant la Grande Guerre. Ce devait être le commencement des bombardements de Paris par la Grosse Bertha. Ma mère, Elisabeth Saintenac, née Godard, m’a dit « Je ne sais pas exactement quand tu es né. C’était dans la nuit. Je ne sais pas si s’était le 30 septembre ou le 1er octobre. En tout cas le premier tu étais là. » Plus tard quand elle regardait les horoscopes du jour de ma naissance, selon les astres entre le 30 septembre et le 1er octobre c’était bien différent et du coup ça l’embêtait.

Acte de naissance de Paul Saintenac (source : archives de Paris)

Peu de temps après ma naissance, à cause des bombardements, on se réfugiait dans la cave de l’immeuble où nous habitions, au 127, rue des Boulets (actuellement rue Léon Frot, député socialiste, rebaptisée du boulevard Voltaire à la Roquette), dans un immeuble qui aujourd’hui n’existe plus, démoli pour agrandir l’école dont l’entrée principale s’ouvrait sur la rue de la Roquette. Ces allers et retours à la cave m’ont rendu malade. Le docteur qui était un vieux bonhomme avait dit à ma mère « ce petit gars n’a pas beaucoup de chance de s’en sortir, il aura fait un court passage… » Alors c’est ma mère qui m’a soigné, à sa manière comme à la campagne. Elle m’a fait des enveloppements à la farine de moutarde, tout un tas de trucs comme ça et elle m’a sauvé.

Emplacement de l’ancien immeuble du 127, rue des Boulets (actuellement 87, rue Léon Frot)

Je suis né à Paris, dans le XIe arrondissement, pas loin de la Petite Roquette. Vous n’avez pas entendu parler de ça, la Petite Roquette ? C’était une prison de femmes rue de la Roquette, pas loin du Père-Lachaise où j’allais me promener le dimanche avec mes sœurs Louise et Georgette. Je suis né à la maison. S’il y avait une sage-femme ? Sans doute, en tout cas je l’espère. J’y étais là mais je ne me souviens pas. Je suis le quatrième de la fratrie. J’ai vingt ans de différence avec ma sœur aînée Eugénie Marie Madeleine – que l’on appelait Madeleine.

Sur la prison de la Petite Roquette :

http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/histoire-de-la-justice-des-mineurs-12891/la-petite-roquette-30881.html

D’ailleurs ma sœur aînée n’était pas tellement contente, parce qu’étant petit elle me prenait dans ses bras et me promenait un peu. Or à cette époque certains hommes n’étaient pas partis soldats. Vis-à-vis des soldats c’était des embusqués, des privilégiés. Alors à ma frangine on lui demandait « avec qui tu l’as eu celui-là, avec un embusqué ? » Elle ne m’aimait pas tellement à cause de ça. Mais elle n’a pas eu à me subir longtemps, car en 1919 elle s’est mariée avec un boulanger – Emile Granger, un Dauphinois. La guerre avait bousculé la destinée d’Emile. Boucher, blessé au combat, au retour il s’est installé chez son frère à Paris qui était boulanger et lui a appris son métier. Avec Madeleine, Emile a établi sa boulangerie boulevard Richard-Lenoir puis rue Montmartre. Madeleine et Emile ont eu une fille – Emilienne, de quatre ans ma cadette. Pour permettre à ses parents de travailler, Emilienne a été placée en nourrice dans le Dauphiné où elle a contracté la gourme, qui attaqua son visage et son œil et lui laissa une infirmité – un strabisme.

Lorsqu’Emilienne a eu quatre ans, elle est venue vivre avec mes parents et moi, chez ses grands-parents à Bécon-les-Bruyères. C’est là qu’elle a fait son entrée à l’école et je l’accompagnais. Nous étions comme frère et sœur. Je ne voulais pas qu’on dise que c’était ma nièce, on avait quatre ans de différence. J’avais sept ou huit ans, je l’emmenais à l’école à l’autre bout de Bois-Colombes, ça devait facilement faire quinze minutes à pied. Et encore, un de mes camarades d’école était moins âgé que son neveu ! Du fait de nos vingt ans de différence je n’ai que peu connu ma sœur aînée. Dans de nombreuses familles les aînés ne connaissaient pas les plus jeunes, car les enfants partaient très tôt du foyer. Dans la région de mon père on louait en quelque sorte les mômes dès six ans pour aller garder les brebis… Emilienne a monté plus tard une boulangerie rue Mouffetard, au coin de la rue de l’Arbalète, qui marchait de façon incroyable. Après, elle s’est mise à parier sur des courses, est-ce venu de là ? ça a périclité. Elle m’a emprunté de l’argent pour s’acheter un logement à Chilly-Mazarin, à une époque où elle ne payait plus les loyers, étant en bisbille avec le propriétaire qui voulait refaire le toit. Puis on a appris dans le journal la fermeture de la boutique, au décours d’une saisie. J’ai quand même récupéré mon prêt.

Rue Mouffetard, au coin de la rue de l’Arbalète…

Ma naissance a fait revenir mon père de la guerre. A partir de quatre enfant les hommes n’étaient plus mobilisables. Mon père avait quand même quarante-six ans. Je crois qu’il était garde-voie je ne sais où, dans une gare de triage. Il n’en parlait que rarement. Ma sœur aînée surtout refusait qu’on parle de la guerre.

J’ai dix ans d’écart avec Louise et sept ans avec Georgette, mes deux autres sœurs. Moi je suis le petit dernier.

Mes parents avaient un commerce, un petit hôtel-restaurant avec « Saintenac » écrit sur la vitrine, face à la poste. A l’époque c’était beaucoup de petits artisans comme ça, ébénistes, menuisiers, fonderies. Ma mère, bonne cuisinière, tenait le restaurant quand  mon père rentra. Elle était extrêmement fatiguée d’avoir tenu avec la seule aide de sa fille le commerce de 1914 à 1917. Il faut voir que les femmes seules n’avaient pas le beau rôle. Les m’as-tu-vu qui veulent faire la loi… Mais quand on l’embêtait trop elle avait le couteau à pain prêt, et menaçant l’indélicat elle lançait « tiens-toi tranquille, sans quoi… » Obligée. Dans tous les bistrots il y a toujours des amateurs de vin, des excités. Ma mère a subi des pressions de messieurs qui la voyant seule voulaient abuser d’elle.

Il m’est arrivé de retourner sur les lieux du restaurant, la maison a maintenant disparu.

Les petits métiers du Paris d’avant.  

Une crémière ambulant avec une charrette à bras. Elle portait de grandes manchettes blanches et un tablier immaculé, elle parcourait le XVIIIe arrondissement.

Les chanteurs ambulants allaient dans les cours pousser la romance et récoltaient quelques pièces le dimanche.

Le rempailleur de chaise.

Le raccommodeur de faïence et porcelaine. Une chanson l’évoque :  

Petit père tu as dit ce matin à maman chérie qui pleurait sans cesse
« Tu as brisé ma vie et pris ma tendresse »
Monsieur venez vite raccommoder leur cœur.
« Je ne suis qu’un raccommodeur de faïence et de porcelaine,
Mais pour raccommoder leur cœur toi seul as ce pouvoir suprême. »  

Le postier faisait au moins deux tournées le matin et une l’après-midi.

Les marchandes de quatre saisons.

Les fiacres puis les taxis, Renault puis G7, avec un grand parc de De Dion-Bouton.

Les chiffonniers qui passaient le matin en provenance des puces de Saint-Ouen. Ils vidaient les poubelles sur une bâche et triaient tout ce qui était revendable. Chacun avait un quartier attribué. Malheur à qui venait sur ses terres ! J’ai vu un revendeur aux puces qui dans une boîte en carton proposait des dentiers, les gens les essayaient pour en trouver à leur mesure.

Les marchands de musique à la sortie de chaque train. Exemple : Le curé de bonbon sur l’air du Trompette en bois :

Ils ont fauté monsieur le curé
Faut voir comme le pauvre homme
A son postérieur abimé.  

Le vendeur de fromage de chèvre accompagné d’un petit troupeau de dix chèvres. Blouse bleue et béret basque, une caisse en bois remplie de fromages.

Le glacier qui emportait les pains de glace pour les chambres froides à glace et approvisionnait les bistrots et boucheries.

La voiture à bras pour livrer le pain de la rue Marcadet jusqu’aux puces.

Le vitrier passait dans les rues avec ses vitres en gibecières dans le dos et criait « vitrier ! »

Le vendeur de mouron des oiseaux.

Mes parents se sont mariés en 1894, ils se sont probablement rencontrés au restaurant au coin de la rue du Mont-Cenis et de la rue Marcadet dans le XVIIIe arrondissement où ma mère était cuisinière. Arrivant de Lorraine à l’âge de de douze ans, ma mère avait toujours travaillé dans ce restaurant tenu par une tante et sa fille. Elle était née de père inconnu, sa mère était lorraine, devenue sourde après avoir contracté la typhoïde à l’âge de seize ans. Elle habitait à Basson-Pierre en pays minier à cinquante kilomètres de Metz, dans une zone annexée par l’Allemagne depuis 1870. Y étant née en 1872, elle vivait dans l’interdiction de parler français. Elle comprenait l’allemand mais difficilement et n’avait aucune intention de l’apprendre réellement. La première fois que je suis allé dans cette région, c’est pendant mon service militaire à Teting près de Saint-Avold, au cent-quarante-sixième régiment d’infanterie de forteresse (RIF).

A quatorze ans, mon père, originaire de Haute-Loire, est monté à Paris à pied pour rejoindre son frère ainé Joseph qui y travaillait comme charpentier. En cours de route, pour gagner le gîte et le couvert il a effectué des petits boulots, mais je ne sais pas combien de temps a duré ce périple. Mon père a arrêté de travailler comme charpentier après une chute qui aurait pu être fatale, il a opté pour la menuiserie-ébénisterie, et deviendra un ébéniste renommé, spécialisé en marqueterie. Plus tard, je le revois encore poncer une coquille de nacre pour réparer une pièce de marqueterie. Pour la fabrication d’un escabeau clouté sans fendre le bois – ce qui relève d’une prouesse, mon père a été primé. Je possède toujours cette pièce mais malheureusement, les outils et autres meubles fabriqués par lui ont été dispersés pendant la Seconde guerre mondiale lorsqu’il a fallu évacuer Bécon-les-Bruyères qui menaçait d’être bombardée – l’appartement de mes parents ayant eu le bon goût de se trouver à proximité des usines Berliet, SKF, Hispano-Suiza, soit autant de cibles potentielles. Il avait aussi sculpté plus jeune une mesure pour la confection de dentelle. Il était maître dans son métier, si bien qu’il avait droit de porter l’anneau d’or à son oreille.

Dans les premiers temps ils habitèrent une petite chambre au sixième étage sans sanitaire, rue du Faubourg-Poissonnière, derrière Barbès en descendant sur Magenta. Ma sœur Madeleine y est née en 1896. Mon père, parti à cette époque en Angleterre pour travailler dans la réfection de châteaux ce qui était bien payé, gagnait le pécule qui lui permettrait d’acheter avec ma mère leur petit commerce. Ma grand-mère était encore en Lorraine, pour autant et par un moyen que j’ignore, elle a pu s’occuper un peu de ma grande sœur que ma mère avait envoyée là-bas. En Lorraine elle avait été très amie avec une famille – les Colin – que ma sœur a donc aussi connue. Lorsque Madeleine est née, mon père était en Angleterre, et la famille qui entourait ma mère et qui a déclaré la naissance de l’enfant, l’a nommée Eugénie, Marie, Madeleine. Mon père en a été contrarié, arguant du fait que la petite aurait trois prénoms à inscrire sur tout document officiel, et qu’il eut été plus sage de ne lui en donner qu’un ! La vie lui a donné raison, car nous avons toujours appelé ma sœur par son troisième prénom, Madeleine. Dans une boutade, mon père aimait à dire que s’il en avait eu la possibilité, il aurait appelé ses enfants Numéro 1, Numéro 2, Numéro 3…

Louise et Georgette, qui elles ne portent qu’un seul prénom, sont nées comme moi dans le restaurant de la rue des Boulets, en 1906 et 1909.

On m’a baptisé en 1918 en Haute-Loire à Félines, petit village tranquille à côté de la Chaise-Dieu, 1100 mètres d’altitude. Mon parrain était mon oncle Paul, professeur au collège Notre-Dame-de-France au Puy-en-Velay. Mon oncle Paul est le jeune frère de mon père, le quatrième dans la fratrie – Joseph, Etienne mon père, Laurent, Paul, François et Jeanne. Ma marraine était ma sœur Louise. Peu avant je fus sauvé de la noyade en essayant d’attraper des poissons dans un baquet. J’étais un vrai trompe la mort ! C’est la tante Louise, une lyonnaise qui tenait un petit bistrot à Paris rue Charlot près de la Bastille, la femme de François qui m’a sauvé en me tirant par les pieds. J’aimais beaucoup ma tante Louise, tant parce qu’elle m’avait sauvé que parce qu’elle m’offrait une friandise chaque fois que j’allais la voir, un mendiant – un petit carton plié dans lequel se trouvaient des raisins secs, des amandes quelques noisettes ou des dates.

J’ai un souvenir d’Auvergne : vers 1924 pendant les fenaisons, les vaches en plus de la production de lait étaient employées pour les petits travaux des champs avec le joug. Je me souviens que l’une d’elle alors qu’elle était attelée avait mis son sabot dans un nid de guêpes. Il y a eu une attaque de l’essaim qui nous a obligé à décamper.

C’est au cours d’un voyage en train vers Félines depuis la gare de Lyon que je suis tombé sur les plaques de chauffage du wagon qui passaient entre les banquettes. En tombant je me suis brûlé les fesses ; il faut dire qu’à l’époque j’étais habillé en robe (les habits de mes sœurs) pour la commodité du change. J’ai longtemps gardé les traces de cet incident.  On m’a raconté que mon père aimait me promener en me prenant sous son bras, et là avec cette tenue, il n’y avait pas de doute, l’héritier des Saintenac était bien un garçon. Mes sœurs ont dû jouer à la poupée avec moi et me faire marcher de bonne heure, résultat j’ai les jambes arquées.

Lorsque j’étais petit, les habitués du restaurant me faisaient chanter :

En rentrant dans ma chambre

J’ai renversé le pot de chambre

La merde et le pipi

Tout ça sur le tapis

La femme de chambre m’engueule

J’lui fous le pot sur la gueule

C’est une chanson populaire de Ménilmuche, les clients avaient plaisir à mettre Popol sur la table et « Allez Popol chante une chanson ! »

Dans le commerce de mes parents venaient des petits artisans et des ouvriers. Il y avait un service à onze heures pour les plâtriers et les maçons, et un deuxième service vers midi pour les ouvriers des fonderies. Ils apportaient leur quignon de pain à tremper et dépensaient un ou deux sous pour un bouillon. Il y avait quelques petites chambres et un petit nombre de clients étaient là en pension complète.

En travaillant, ma mère a fait une fausse couche, elle a ramassé le fœtus avec une pelle et l’a jeté dans le feu de la cuisinière, reprenant son travail comme si de rien n’était.

Une fois, tout petit garçon, j’ai disparu en suivant les enfants qui allaient à l’école rue de la Roquette. Les maitresses ne connaissaient pas ce petit garçon, finalement on m’a retrouvé – je n’ai jamais aimé la solitude.

Ma sœur Louise – ma marraine – s’était mis en tête de compléter l’éducation de mes parents. Lorsqu’on me disputait, elle en rajoutait en cherchant à me tambouriner, je tentais de lui échapper en me réfugiant sous mon lit. Lorsqu’elle eut sa fille, Louise l’a confiée à notre mère sans franchement se préoccuper du bien-être que pouvait apporter notre appartement – ce que je ne compris jamais, si bien que personne ne jugea bon d’y brancher l’électricité, qui arrivait pourtant jusque sur le palier. Si sa petite-fille pleurait la nuit ma mère allumait une lampe à pétrole, qui un jour coula accidentellement dans le berceau… Elle disait qu’elle avait bien tenu jusqu’à présent sans gaz ni électricité, elle s’était habituée à la presque misère, pourquoi changer ?

Ma sœur ainée Madeleine voulait être institutrice, elle avait une mémoire formidable, à la fin de sa vie elle connaissait encore tous les départements, préfecture et sous-préfectures. Elle aurait sans doute fait une excellente institutrice mais elle a dû travailler avec ses parents. Madeleine assurait le service, mon père était au comptoir et ma mère en cuisine. Je me rappelle Madeleine frottant la lame des couteaux à la toile émeri, pour les nettoyer et en retirer la rouille d’oxydation. Elle n’aimait pas cela, car elle tachait ses doigts de noir ! Un objet témoin de cette vie parisienne : un beau dessous-de-plat en fonte, fabriqué dans une petite fonderie artisanale dans la cour jouxtant le restaurant de mes parents. Le dessous de plat est signé F Van Cant, en forme de marguerite ciselée et je me souviens voir mon père avec une petite lime l’affiner, l’ébarber pour lui donner son aspect final. Il a suivi mes parents dans leur périple et j’en ai hérité à mon retour de la guerre avec quelques autres objets. Il y avait pour les fondeurs la volonté de réaliser l’ouvrage le plus abouti, reflet de leur art et leur sacerdoce. Ce dessous-de-plat nous a suivi jusqu’à Itteville, il en a vu des culs de casseroles !

En 1919 Madeleine s’est mariée et a été dotée par ses parents de la somme de dix mille francs. Je n’ai pas le souvenir qu’une photo ait pu immortaliser le mariage de Madeleine et Emile. Quant à Georgette, elle recevrait la même somme sur sa part d’héritage, tout comme moi à mon retour de prisonnier sous forme d’obligations de la ville de Paris, mais qui avaient perdu beaucoup de leur valeur. Initialement c’était une obligation à six pour cent et au final il a fallu batailler pour récupérer cet argent, que je me déclare comme Juif déporté et spolié pour avoir le même régime de traitement. Les dix mille francs ont été remboursés six mille et les intérêts calculés trois pour cent au lien des six.

Emile, blessé à la guerre 14-18, s’était remis le pied à l’étrier grâce à la boulangerie qu’il lança avec Madeleine, partie du foyer lorsque j’étais encore tout miston. C’est pour cette raison que je ne l’ai quasiment pas connue étant enfant. Emile a eu un cancer de la gorge dont il mourrait à la fin de l’Occupation. La clinique dans laquelle il était hospitalisé ne voulait pas que le décès fût constaté dans son lit d’hôpital – ça faisait mauvais genre. Je l’ai transporté en civière avec un ambulancier jusque dans son appartement au quatrième étage, drap blanc remonté pour couvrir son visage, en attendant que le médecin vienne faire le constat. Elle resta veuve le restant de sa vie. Ils n’avaient plus de boutique, Emile avait fini sa vie comme marchand de fonds, puis marchand de farine, plutôt aisé et bon vivant, il a travaillé avec les moulins Duguet. Leur fille s’est mariée avec un boulanger plus âgé qu’elle, elle a eu elle-même trois enfants, dont l’un est mort à la naissance étranglé par le cordon. Il n’a pas été sauvé probablement parce qu’elle avait tenu à accoucher à la maison, les deux autres enfants sont nés à la clinique.

Ma grand-mère maternelle a vécu en Lorraine avant de rejoindre ma mère à Paris. Elle était sourde – une typhoïde mal soignée paraît-il. Lorsqu’elle était mal lunée, elle se levait et dansait en se rappelant des airs de mazurka de sa jeunesse, et elle chantait sans aucune tonalité… Lorsqu’elle était en colère contre moi elle criait « Sale tête de Boche ! » Je soupçonne que le père de sa fille fût Allemand… Elle était fille unique, comme ma mère. Elle était sourde mais elle s’est bien tenue toute sa vie. Lorsqu’à l’adolescence un duvet est apparu sur mon visage, ma grand-mère me raconta que pour raser son vieux père tout ridé avec la lame il fallait bomber sa joue avec une cuillère glissée dans sa bouche.

Les jours de fête, pour nous gâter, ma mère préparait un onctueux velouté de pois cassé, agrémenté de petits croûtons. C’était très bon et ça sortait de l’ordinaire.

En 1920 mes parents ont vendu. On a été faire un petit tour en Auvergne, en Haute-Loire là où mon père était né. On est resté six mois là-bas dans la maison des grands-parents. On a vécu de petites rentes obtenues avec la vente du commerce. J’y ai vu un hiver avec plus de neige que je n’en avais jamais vu.

Félines (source : site de la mairie de Félines)

Je n’ai vu que peu de photos de moi avec mon père, je me souviens surtout d’une photo de famille prise par une de mes sœurs vers 1920 sous un arbre en Auvergne…

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